MEDITATION

Meditation: le menuet des rythmes biologiques !

Interview de Michel LABOUESSE, Directeur, Institut de Biologie de Paris- Sorbonne, Ingénieur Ecole Polytechnique, Phd CNRS, Docteur en Philosophie ...


Les êtres vivants sont soumis à divers rythmes qui conditionnent leur vie et leur reproduction. Michel Labouesse nous propose d’explorer les rythmes liés à notre développement fœtal et à notre physiologie respiratoire, puis de discuter en quoi ces rythmes conditionnent de manière différente la notion d’impermanence. Cette notion d’impermanence, héritée des philosophes grecs est également au cœur des pratiques méditatives orientales, qui reposent sur un contrôle actif de la respiration.

Quels sont les grands rythmes auxquels sont soumis les êtres vivants ?

Michel Labouesse : Que nous en soyons conscients ou non nos vies sont rythmées, d’une part par les mouvements planétaires impliquant des forces gravitationnelles à très grande échelle, et à l’autre bout de l’échelle par des processus microscopiques impliquant des machines moléculaires. Ainsi, le rythme jour-nuit dû à la rotation de la terre sur elle-même influence de manière déterminante de nombreux processus biologiques, tel que le sommeil, la température corporelle, le métabolisme hormonal, mais aussi la position des feuilles et des pétales ou la production d’oxygène par les plantes. On parle à ce sujet de rythme circadien dont les mécanismes moléculaires commencent à être bien connus grâce aux travaux de trois chercheurs américains lauréats du prix Nobel[1]. Le rythme des saisons dû à la rotation de la terre autour du soleil influence pour sa part le cycle de reproduction de la majorité des espèces animales et végétales, ainsi que les périodes de migration de différentes espèces animales terrestres comme marines. Les rythmes circadien et saisonnier sont pour l’essentiel invariant d’une espèce à l’autre.


Et à l’échelle microscopique, qu’en est-il des rythmes auxquels nous sommes soumis ?

M.L. : A l’échelle microscopique, un embryon animal se développe à partir d’une cellule unique, l’œuf fécondé, de quelques dizaines à quelques centaines de microns (1 micron correspond à un millième de millimètre), pour donner naissance à un jeune rejeton comportant plusieurs milliers ou milliards de cellules mesurant en tout jusqu’à plusieurs dizaines de centimètres. Deux processus contribuent à ce prodige : la division cellulaire et l’allongement orienté de l’organisme selon un axe.

La division cellulaire[2] est un processus cyclique dont la période est variable d’une espèce à une autre, d’environ deux heures chez une levure et chez de nombreux embryons animaux, il dure jusqu’à 24 heures chez les vertébrés après leur naissance. Ce processus de quatre phases consécutives est régulé par une machinerie moléculaire sophistiquée qui coordonne plusieurs évènements, dont la duplication puis la séparation des chromosomes, et la scission de la cellule mère en deux cellules filles. La description précise de cette machinerie, qui a été caractérisée par deux chercheurs anglais et un américain lauréats du prix Nobel[3], n’est pas l’objet de cet article. Une cellule mesurant quelques dizaines de microns, l’augmentation du nombre de cellules contribue de manière importante à la croissance d’un organisme pendant le développement de l’embryon. Chez un adulte, l’apparition d’un cancer correspond à une reprise incontrôlée de la division cellulaire.

L’allongement orienté[4], Croître est pour un organisme synonyme de s’allonger. Notre vision de la croissance est sans doute déformée car on voit dans notre vie quotidienne des plantes grandir en quelques semaines, à condition de bien les arroser, et nos enfants se développer en quelques années, à condition de bien les nourrir, donc sur un temps assez long. Mais il en va tout autrement pour un embryon qui croît à un rythme très rapide et dans un espace confiné. L’embryon va doubler de longueur en quelques heures ou quelques jours selon l’espèce, durée à contraster avec les quatre années qu’il faut au nouveau-né humain de 50 cm pour atteindre un mètre. Les biologistes parlent à ce propos d’allongement polarisé4, un phénomène qui repose également sur un processus cyclique. Voici deux illustrations de ce ballet rock-and-roll sans maître de ballet puisque ce sont les cellules qui s’auto-organisent selon des principes physiques et chimiques dont la description dépasse le cadre de ce court article.

Tous les vertébrés allongent leur corps en grande partie sous l’influence d’une horloge somitique[5]. De quoi s’agit-il ? Relativement au début de l’embryogenèse (3ème semaine de grossesse pour l’homme mais 8ème jour sur 21 pour la souris), des cellules situées vers la partie la plus postérieure du futur embryon se multiplient et dans le même temps opèrent une migration4 postérieure (en ce sens qu’elles se déplacent). A intervalles réguliers, une série de gènes4 sont allumés de cellule en cellule en une vague qui remonte vers la partie antérieure de l’embryon jusqu’à un point où les dernières cellules à avoir exprimé ces gènes coalescent pour former un amas cubique et individualisé de cellules appelé somite. Les somites sont les précurseurs des vertèbres, des côtes, des muscles squelettiques, du cartilage et des tendons. La vague mentionnée ci-dessus se répète préalablement à la formation de chaque somite avec une fréquence qui varie selon les espèces allant de 30 minutes chez un petit poisson, 100 minutes chez un serpent (lequel comporte jusqu’à 500 vertèbres), 120 minutes chez une souris à 5 heures chez l’homme (voir Figure 1). Ainsi l’allongement progressif chez les vertébrés implique un processus répété dont la fréquence se compte en heures.

Chez le petit ver appelé Caenorhabditis elegans­ (un nématode), un autre animal très étudié en laboratoire en raison de sa simplicité et des leçons de portée générale qu’on peut tirer de son étude, le doublement final de la longueur de l’embryon implique également un processus cyclique. Dans ce cas, les muscles de l’animal, qui sont orientés dans le sens antéro-postérieur, se contractent régulièrement de manière autonome environ toutes les 45 secondes, mais pas de manière synchronisée. Ce faisant, ces muscles pincent l’épiderme, ce qui provoque un raccourcissement de l’armature interne de l’épiderme par un mécanisme qui évoque la roue à cliquets. Cette armature est constituée de câbles circonférentiels d’un élément du cytosquelette mentionné précédemment. En devenant plus courts, ces câbles compriment l’intérieur de l’embryon et forcent son allongement dans une direction orthogonale, un peu comme si on serrait entre ses mains le contenu d’un ballon cylindrique pour l’allonger.

Ainsi l’allongement des espèces évoquées ci-dessus implique un processus progressif cyclique, dont la période dépend de l’espèce et du mécanisme moléculaire précis. Il n’est pas anodin que des transformations morphologiques importantes reposent sur des changements graduels. Si l’évolution procède ainsi chez des espèces ayant divergé l’une de l’autre il y a des centaines de millions d’années, il existe nécessairement des raisons physiques sous-jacentes. Par-delà ces considérations évolutives, on peut en tirer des leçons d’ordre philosophiques. Pour simples, voire même triviales, que puissent sembler ces transformations, elles illustrent parfaitement ce qu’a écrit le philosophe Henri Bergson, souvent considéré comme un des épistémologistes les plus influents en biologie dans « L’Evolution créatrice » quand il dit « La forme n'est qu'un instantané pris sur une transition ». Bergson insistait dans cet ouvrage sur l’idée « qu’il n’y a pas de forme, puisque la forme est de l’immobile et que la réalité est mouvement. », que « … notre perception s’arrange pour solidifier en images discontinues la continuité fluide du réel. ».

Quelles sont les interférences entre les cycles de la respiration et la méditation ?

Montaigne écrivait : « Il n'y a aucune constante existence, ni de notre être, ni de celui des objets. Et nous, et notre jugement, et toutes choses mortelles vont coulant et roulant sans cesse.” (Essais)

A l’échelle physiologique, les battements cardiaques et les mouvements respiratoires sont deux processus rythmés et répétitifs essentiels à la vie. Si le premier peut varier sous l’influence du stress, de l’âge, de l’état de repos ou d’activité, il n’est pour l’essentiel pas modulable sous l’effet de notre seule volonté. A contrario, les mouvements respiratoires peuvent être modulés de manière très étendue. Il est possible de retenir sa respiration pendant plusieurs secondes – les plongeurs professionnels parviennent à même rester en apnée jusqu’à plus de quatre minutes - et il possible de modifier la fréquence et durée d’inspiration/expiration. Le fait de pouvoir modifier cette fréquence influence l’activité cérébrale, en grande partie parce que les rythmes respiratoires viennent se synchroniser avec les rythmes cérébraux (ceci indépendamment de l’apport en oxygène). Après avoir exploré les liens entre rythme respiratoire et rythmes cérébraux, j’en viendrai à la méditation qui précisément repose sur un contrôle du rythme respiratoire.

Qu’appelle-t-on rythme cérébral ? Le cerveau humain est constitué d’environ 100 milliards de neurones4. L’activité neuronale correspond à une impulsion électrique résultant du mouvement de molécules chargées électriquement au travers de pores spécialisés situés dans la paroi du neurone. Dans plusieurs régions du cerveau les neurones émettent des impulsions électriques de manière synchronisée avec une certaine fréquence qui peut varier d’environ une onde par seconde pendant le sommeil jusqu’à 40 fois plus pendant une activité intellectuelle soutenue. Il résulte de ces oscillations ou rythmes cérébraux une onde électromagnétique qui se propage dans le cerveau et influence l’activité d’autres régions.

Ainsi la respiration nasale, par opposition à la respiration orale, stimule très logiquement les neurones olfactifs qui tapissent l’intérieur du nez et nous permettent de percevoir les odeurs. Ces neurones sont en contact étroit avec plusieurs régions du cerveau, en premier lieu le bulbe olfactif4 qui intègre l’information ressentie par les neurones olfactifs. Les neurones du bulbe olfactif sont eux-mêmes en contact avec ceux du cortex préfrontal4, de l’ensemble du néocortex4 (impliqué dans les activités intellectuelles), de l’hippocampe4 (contrôle l’attention et la navigation spatiale), du système limbique4 et de l’amygdale4 (contrôle des émotions), lesquels se mettent en synchronie rythmique. Ces régions en retour peuvent influencer les neurones du cerveau profond, aussi appelé cerveau reptilien, qui commandent le rythme respiratoire (voir Figure). Il s’agit certainement d’un circuit très ancien sur le plan évolutif. Différentes observations appuient l’existence de liens importants entre ces régions lors de la perception de certaines émotions ou des activités intellectuelles, sans que les mécanismes soient nécessairement connus.

Figure : Schéma partiel simplifié du cerveau et du nez montrant les principales zones mentionnées dans le texte.

Ainsi, on peut montrer une synchronie forte entre le bulbe olfactif, le cortex et l’amygdale chez les rongeurs exposés à des conditionnements de peur. Ce circuit serait conservé chez l’homme. On lie aussi la respiration avec le sentiment d’anxiété puisque des arguments circonstantiels indiquent que les patients souffrant d’asthme ou d’encombrement nasal éprouvent un accroissement du sentiment d’anxiété. Enfin il semble que les atteintes du système olfactif chez les patients atteints de certaines maladies neurodégénératives soient prédictives d’une démence accélérée. Inversement, les oscillations cérébrales les plus rapides de la région du cortex préfrontal, dites oscillations gamma, sont stimulées par la respiration ; ce mécanisme est souvent défectueux dans plusieurs troubles psychiatriques. Enfin le contrôle et l’attention sur la respiration agissent sur le rythme cardiaque ce qui en retour influence les centres qui jouent un rôle dans le contrôle de nos émotions comme la région du cortex cingulaire4.

En quoi la description faite ci-dessus des liens existants entre respiration et activité cérébrale permet de mieux expliquer les bienfaits de la méditation[6]. La méditation, qu’elle soit d’inspiration yogique, zen ou bouddhiste, vise à se concentrer sur l’acte de respirer. Il ressort des paragraphes précédents que l’acte volontaire de respiration nasale influence les oscillations cérébrales des régions du cerveau couplées au bulbe olfactif, en particulier les régions contrôlant l’activité cognitive, les émotions et l’attention. Ces effets pourraient aller au delà de l’activité cérébrale proprement dite et aussi se doubler de changements morphologiques. En effet, plusieurs technologies d’imagerie cérébrale, telle que l’Electroencéphalogramme et l’IRM, effectuées sur un petit nombre de volontaires pratiquant depuis plusieurs années la méditation ont montré d’une part que leur matière grise augmente significativement de taille, et d’autre part que les connections neuronales pourraient être modifiées, réduisant certaines et renforçant d’autres. On peut faire l’hypothèse (jamais encore étayée) que ces modifications pourraient expliquer pourquoi les méditants expérimentés peuvent mieux contrôler leurs émotions et appréhender les situations. Les considérations scientifiques sur les bienfaits de la méditation ne doivent cependant pas occulter que le cœur de la philosophie bouddhiste est de prêter attention au travers de la respiration à l’impermanence des phénomènes afin de parvenir à se détacher de l’image qu’on se fait de soi.

Ce court texte avait pour objectif de présenter plusieurs rythmes biologiques notables, et d’en venir à des considérations plus générales. Un rythme, qu’il soit de nature physique, musical ou biologique, suppose plusieurs phases, chacune transitoire ; c’est pourquoi le lien entre rythme et fluctuation semble naturel. Ainsi, nombre de rythmes biologiques nous renvoient à cette notion de fluidité et d’impermanence que les philosophes grecs comme Héraclite ou leurs héritiers comme Montaigne et Bergson, tout comme par ailleurs la tradition bouddhiste, ont exploré.

Glossaire reprenant les principaux mots scientifiques utilisés dans le texte

- Division cellulaire : ensemble des étapes impliquées dans la division d’une cellule en deux cellules filles identiques.

- Migration cellulaire : nos cellules peuvent soit rester accolées à leur voisines, soit se déplacer comme des chenilles auquel cas on parle de leur migration.

- Polarité en biologie : reflète une brisure de symétrie dans l’organisation du vivant, qu’il s’agisse d’une cellule ou d’un organisme. Si l’allongement d’un organisme se produit surtout dans un axe donné on dira qu’il est polarisé.

- Axe : on distingue communément trois axes chez les animaux, antérieur-postérieur (ou tête-queue), gauche-droite, dorsal-ventral.

- Gène : unité de base de l’information héréditaire portée par les chromosomes ; on peut imaginer le gène comme une bande magnétique qui doit être décodée par une machinerie, on dit être exprimé, pour donner naissance à une protéine les protéines étant les constituants de bases de nos cellules. On estime qu’il existe environ 20000 gènes chez l’homme.

- Cytosquelette : constituants spécialisés présentes chez toutes nos cellules (en particulier nos muscles) capables en modifiant leur position respective à l’échelle moléculaire créer un déplacement de la cellule ou de l’organisme.

- Neurone : unité de base du cerveau, ressemblant à une sorte de petit fil ramifié qui établit des contacts avec d’autres neurones/fils, ou avec des muscles.

- Bulbe olfactif, hippocampe, cortex, amygdale, cortex cingulaire : régions spécifiques du cerveau contrôlant différentes activités ou émotions. Certaines d’entre elles sont fortement connectées, simplement car leurs neurones établissent des connections.



[1] https://www.inserm.fr/dossier/chronobiologie/ ; https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/2017/press-release/

[2] Voir glossaire en fin de document

[3] On pourra consulter : https://rnbio.upmc.fr/bio-cell_cycle-cellulaire_introduction; et https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/2001/press-release/

[4] Voir glossaire en fin de document

[5] https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.5802/crbiol.11/

[6] https://www.cortex-mag.net/la-respiration-serait-elle-le-metronome-du-cerveau/, https://www.cortex-mag.net/la-respiration-serait-elle-le-metronome-du-cerveau/