L'Ordre nécessaire


L'ordre nécessaire sous l'œil de Lallement


Jean-Jérôme BERTOLUS , Chef du service politique auprès de France Info, présente pour Realist Magazine, son interview de Didier LALLEMENT, ex-Préfet de police.

Pendant trois ans, celui-ci a été aux premières loges de toutes les questions de sécurité, et au cœur du pouvoir. Ayant quitté ses fonctions, cet homme de conviction au service de la République accepte de parler.

Le préfet de police est l’un des hauts fonctionnaires les plus puissants de France. Nommé par le Président de la République, son action appartient au domaine réservé du Chef de l’Etat., Nommé pour rétablir l’ordre face aux gilets jaunes, Didier Lallement, a eu ainsi une relation privilégiée avec Emmanuel Macron. Protégé par l’Elysée, il a pu affronter toutes les polémiques.

Sa première mission est de protéger le Président. Quand « Le Château » est menacé par une foule en colère, la police se retrouve en position centrale. Parfois trop… Didier Lallement, juge que dans les récentes crises, l’exécutif s’est souvent retrouvé désemparé et isolé face à la rue. « Si je schématise, on passe de moins en moins par la case « conférence sociale » et de plus en plus par la police ». Une mise en garde qui vaut aussi pour l’avenir puisque selon lui que l’exécutif n’en a pas finit avec les gilets jaunes et que tout concourt à une prochaine explosion sociale.

Selon l’ancien préfet, la police est trop sollicitée entre les crises sociales les crises sanitaires et de nouveaux champs d’intervention comme les violences faites aux femmes. Et plus, la police est requise, plus elle est critiquée. Un paradoxe qui entrainerait, selon lui, une tension croissante en son sein. C’est d’ailleurs ce qui a poussé le préfet à toujours soutenir ses troupes. « Ma mission était de diriger la police parisienne et de faire en sorte qu’elle n’explose pas ».

Sur le front de la délinquance, le préfet reconnait qu’il n’y a pas de recettes miracles. Qu’aucun remède n’existe pour le crack, et qu’il y aura encore des drogués dans trente ans. Qu’il n’est pas possible d’enfermer tout le monde. Qu’il n’y a pas assez de places de prisons et que construire des prisons prend du temps. Qu’une partie des armes, qui sont aujourd’hui en Ukraine vont se retrouver bientôt dans les banlieues. Des quartiers qui s’enflamment de plus en plus souvent à mesure que le trafic de drogue se transforme. Il a observé tout au long de ces années passées à la tête de la préfecture, une banalisation de la violence.

Une vision pessimiste, sans fard. De ses relations avec le monde politique, en passant par l’incendie de Notre-Dame de Paris, et l’attentat à la préfecture de police, ce livre d’entretien raconte la vie quotidienne du Préfet et questionne ses convictions

Quelques extraits significatifs ...

Climat social : « Tous les clignotants d’un débordement par la rue sont au rouge. Tout y concourt : la situation politique, la situation sociale, la situation économique. Quel sera le prochain détonateur ? Les retraites ? L’inflation ? Je l’ignore, mais cela pourrait être pire que les Gilets jaunes ».

Maintien de l’ordre : « Si vous donnez des ordres flous, la mise en œuvre sera floue. Quand il y a 7 000 membres des forces de l’ordre, il faut être précis pour être bien compris.Contact… Impact. C’est clair. L’impact, c’est la charge, après avoir demandé la dispersion et effectué les sommations. Je préfère que l’on donne des coups de matraque à des gens qui se conduisent mal plutôt que de se servir d’un LBD à 30 mètres ».




Quelques extraits (suite...)

Paris : « J’ai toujours dit à la maire de Paris que je n’étais pas d’accord sur son approche en matière de circulation. La police peut réprimer. Mais pourquoi envoyer des fonctionnaires réprimer quand c’est l’aménagement qui provoque le chaos ? J’ai réduit les effectifs consacrés à la police de circulation. Au titre de ses nouvelles compétences, la Ville a obtenu le transfert de 1 500 agents de surveillance de la voie publique, qui étaient auparavant dans les commissariats. Elle a donc, si elle le souhaite, les moyens d’assumer pleinement la régulation de la circulation.

Immigration : « La population délinquante est nourrie par une immigration chaotique. Il est clair qu’une partie des primo-arrivants s’intègre par la délinquance. La migration a ses points d’accueil. Au mieux les quartiers populaires et les lieux où vit déjà la communauté du migrant ; au pire les tentes sous les ponts ou près du périphérique. Ceux qui campent sont souvent des demandeurs d’asile, mais il n’y a plus de places pour les loger. Il est facile pour les réseaux d’utiliser cette main-d’œuvre, en particulier pour les vols à la tire ».

Vie quotidienne : « Au total, à la préfecture, il y a dix-huit logements de fonction pour nécessité de service. La plupart des directeurs de la préfecture de police habitent là. L’appartement dévolu au préfet est vaste, il fait environ 1 000 mètres carrés et comporte une dizaine de chambres. J’occupais seulement une chambre de 20 mètres carrés, un bureau de 40 mètres carrés, et une salle à manger privée. Le reste de l’appartement était vide, les salons sont inoccupés. Rien de fastueux. Aucune mondanité. On ne donne plus de bal à la préfecture. À l’Opéra, la loge du préfet n’existe plus ».

Patrouilles : « En 2015, les premiers policiers sont rentrés au Bataclan avec des armes de poings. Ils ont fait face à des terroristes équipés de Kalashnikov. Après les attentats, on s’était donc dit qu’il fallait répondre à l’équipement des terroristes par un armement plus adapté. Cela signifie qu’aujourd’hui de très jeunes policiers patrouillent avec des armes automatiques. Ce type d’arme introduit une autre logique de destruction et de neutralisation que celle de l’arme de poing. Est-ce que c’est encore nécessaire ? La menace est-elle toujours effective ? Est-ce que les policiers en patrouille peuvent tomber au coin d’une rue sur des gars équipés d’AK 47 ? C’est possible, mais moins vraisemblable qu’il y a quelques années. La vraie question c’est de savoir si ces patrouilles de police équipées d’armes automatiques en plein Paris ne représentent pas en elles même un risque élevé ? Cette interrogation vaut autant pour la police que pour l’armée qui par le biais de Sentinelle patrouille avec des armes équivalentes au même calibre. La montée en puissance politique sur les questions de sécurité et du terrorisme est toujours plus aisée que la décélération ».

Attentat : « Dans la cour, à proximité du corps de l’assaillant, il y a un escalier d’angle qui dégouline de sang au point que pour y accéder, vous êtes obligé de marcher dessus. Là, se trouve une fonctionnaire de police qui agonise. Les policiers qui l’entourent ont leurs chemises blanches couvertes de sang. Jusqu’en haut des manches pour celui qui est au plus près. Elle est en train de mourir mais elle garde les yeux ouverts. L’émotion anéantit ceux qui sont à son chevet ».

Stade de France : "Je n’ai été destinataire que d’une seule demande de l’UEFA : l’exigence d’escortes motards pour le Président de l’UEFA et le Secrétaire général de l’organisation. Je n’aime pas ce type de démarche. J’ai refusé… malgré des pressions importantes ! On m’a même dit qu’Emmanuel Macron allait être saisi, mais il ne m’a jamais appelé. Depuis que je suis préfet, j’ai a peu près dit non à tout, y compris aux demandes émanant de l’entourage du ministre. Je refuse les passe-droits. La police n’est pas là pour escorter les milliardaires. Pour mettre une caméra de vidéo-surveillance devant le domicile d’un riche particulier. Pour neutraliser des places de stationnement sur la voie publique en faveur d’un ex-Président. Ou encore pour limiter l’accès aux Champs-Elysée pour que Renault puisse y faire sa pub. Je ne pars pas du principe qu’il faut dire oui aux puissants ! Je me demande toujours si Mohamed, à Saint Ouen, aurait droit au même traitement".

A propos de la sortie de "L'ordre nécessaire", Didier LALLEMENT,

Interviewé par Jean-Jérôme BERTOLUS - (Robert Laffont)