DICTATURE VERTE

Les enjeux planétaires de la préservation de l’environnement ne font pas bon ménage avec les décisions démocratiques. Et ce d’autant plus que les écologistes ont favorisé une accointance à gauche qui fausse le jeu. Mais les conséquences sont telles, qu’on doit oublier les querelles de clocher.

Interview de Antoine BUENO, essayiste prospectiviste et conseiller en développement durable, qu’il regarde d’un œil neuf."

(Interviewé pour REALIST MAGAZINE par Roland Cohen)



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Avec les Verts, la démocratie voit rouge …

 

REALIST MAGAZINE :  Votre livre s'intitule "Faut-il une dictature verte ?". Du coup, nous vous posons la question, faut-il une dictature verte ?

Antoine BUENO : Surtout pas ! Le sous-titre du livre est d'ailleurs d'emblée très explicite : "La démocratie au secours de la planète". Faut-il une dictature verte ? est bien sûr un titre provocateur. Mais aussi un titre qui permet d'aborder une question écologique majeure et rarement évoquée, celle de l'enjeu politique soulevé par la transition. L'enjeu ou plutôt les enjeux qui sont à mon sens au nombre de trois. Premièrement, la crise environnementale menace la démocratie. Elle la menace déjà aujourd'hui puisqu'elle alimente le populisme via le climato sceptisme complotiste. Le populisme d'un Geert Wilders aux Pays-Bas, d'un Xavier Milei en Argentine ou d'un Donald Trump surfent sur l'hostilité à l'écologisme. A plus long terme, dans un monde où le réchauffement climatique deviendrait incontrôlable, nos pays auraient du mal à rester démocratiques. Face à la raréfaction des ressources et l'éventuel afflux de migrants climatiques, nos systèmes institutionnels devraient résilier leur abonnement à l'état de droit et aux libertés. A la demande d'ailleurs des peuples comme nous en avons eu un exemple durant la pandémie de la Covid 19. 

Le deuxième enjeu politique soulevé par la crise écologique touche à l'inadaptation de la démocratie représentative actuelle pour mettre en œuvre les mesures écologiques qui s'imposent. 

Le troisième enjeu politique soulevé par la question environnementale est la remise en cause par les mouvements écologistes dominant du capitalisme. 

 

R.M. : Et nos institutions démocratiques, les trouvez-vous désuètes et inadaptées pour mettre en œuvre la transition écologique ? 

Antoine BUENO : Elles le sont pour de nombreuses raisons structurelles. Premièrement, la démocratie représentative est une machine à fabriquer du consensus. Mais, pour paraphraser François Gemenne, l'écologie n'est pas elle-même un consent. Cela se comprend facilement : s'il faut parvenir à la neutralité carbone, on ne peut pas transiger en ne réduisant nos émissions de gaz à effet de serre que de 50%. C'est 100% ou rien du tout. 

Deuxièmement, la démocratie représentative est « court-termiste ». Elle est liée au cycle électoral alors qu'une transition écologique digne de ce nom ne peut que s'inscrire dans le temps long. Troisièmement, le système électif favorise les intérêts des personnes représentées dans le corps électoral. Or, celles qui payeront le plus lourd tribut au réchauffement climatique ou à l'effondrement de la biodiversité n'y figurent pas. Les forêts, les océans et les rivières ne votent pas. Pas plus que les générations futures. Et les peuples Africains, le réchauffement frappera le plus fort, ne votent pas dans les pays qui sont les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. 

Quatrièmement, le système électif nivelle toute idée par le bas. La réduisant à n'importe quelle offre électorale. C'est comme ça que l'écologie s'est retrouvée à gauche et que ses partisans sont devenus hostiles au nucléaire et aux OGM. C'est un effet du marché électoral. Cinquièmement, par définition, pour être élu, il faut faire rêver. Or, l'essentiel de ce qu'il faut faire pour répondre à l'enjeu environnemental est impopulaire. L'écologie, ce n'est pas un chemin de roses, c'est du sang et des larmes. Quand on promet du sang et des larmes, on ne remporte pas les élections. Même Churchill en a fait les frais. Alors qu'il a conduit son pays à faire partie des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale ! Enfin, le système de la représentation est déresponsabilisant, voire infantilisant, pour les populations. L'individu accomplit son devoir citoyen en allant aux urnes tous les cinq ans et attend ensuite que les élus agissent, profitant du luxe démocratique ultime qui consiste à se plaindre en permanence de ses édiles. 

 

R.M. : Si nos institutions actuelles ne sont pas faites pour l'écologie, faut-il faire une croix sur la démocratie ?

Antoine BUENO : J'essaye dans mon livre de démontrer le contraire. Théoriquement, face au constat de l'inadaptation de la démocratie représentative pour mener à bien la transition, il n'y a que deux solutions : la dictature (ou l'autoritarisme) et la démocratie directe. Or, la transition environnementale ne gagnerait rien, ou pas grand-chose, à une dictature. Même une dictature verte mise en place spécifiquement pour s'attaquer au problème écologique. En effet, la transition écologique ne remet pas en cause les droits et libertés. L'essentiel de ces derniers n'est pas concerné par l'écologie. Par exemple, l'écologie n'a rien à voir avec le droit à un procès équitable ou la liberté d'expression. L'écologie ne restreint que certains droits et libertés précis comme la liberté d'aller et venir (si je n'ai plus le droit de prendre l'avion, ma liberté d'aller et venir est entamée), la liberté d'entreprise (interdiction de certains produits comme les brûleurs sur les terrasses publiques) ou encore le droit de propriété (par exemple interdiction de louer une passoire thermique). De plus, ces limitations sont relatives. La transition n'interdit pas d'aller et venir, elle interdit de le faire de manière carbonée. Il y a conciliation entre ces droits et libertés avec d'autres principes tels que le droit des générations futures à bénéficier d'un environnement sain

Par ailleurs, la transition environnementale n'aurait même pas vraiment besoin d'un régime de surveillance et de sanction propre aux dictatures. Dire cela est contre-intuitif. Nous avons en effet tendance à penser qu'il faudrait des mesures autoritaires, imposées à tous pour avancer sur la voie du verdissement. Les études menées sur les régimes policiers et violents montrent qu'à long terme leur efficacité est très faible. La stratégie zéro covid de la Chine s'est ainsi révélée une catastrophe. A long terme, sur le plan sanitaire, la dictature chinoise a sous-performé par rapport aux démocraties libérales. Cela est d'autant plus vrai que la responsabilité et l'équité sont des principes bien plus forts pour assurer l'effectivité d'une politique. Plutôt que de dictature, c'est de démocratie directe dont nous avons besoin en matière écologique.

 

R.M. :  En quoi la démocratie directe serait-elle la piste à creuser pour débloquer problématique environnementale ?

Antoine BUENO : En introduction de mon livre, je cite Alfred E. Smith, un homme politique américain influant de l'entre-deux guerres qui disait : "Tous les méfaits de la démocratie sont remédiables par davantage de démocratie". Je crois que c'est très vrai. En l'occurrence, l'expérience de la Convention citoyenne pour le climat a prouvé que la démocratie directe pouvait réussir en matière écologique là où les élus n'y arrivaient pas. Les 150 citoyens tirés au sort ont accouché des propositions écologiques les plus ambitieuses jamais avancées dans notre pays. Ensuite, ces propositions, réinjectées dans le système classique de la représentation, ont été abandonnées ou rabotées. Rien de surprenant à cela : le parlementarisme est un laminoir, il fait ce qu'il sait faire, du compromis. L'intuition de la démocratie directe comme solution à la crise écologique ne date pas d'aujourd'hui. Hans Jonas, dans "Le Principe responsabilité", sont livre fondateur, l'avait déjà eu. Il énonçait déjà le principe que nous ne serions au rendez-vous de la planète que quand nous nous en sentirions responsables. C'est ce que fait la démocratie directe, elle restitue sa responsabilité au citoyen. Et cela change tout. Pour adapter nos institutions à l'enjeu écologique, nous pourrions imaginer une Convention citoyenne permanente et sans cesse renouvelée par tirage au sort chargée de faire des propositions votées directement par les citoyens via des référendums à choix multiples. Ce système aurait l'immense avantage de balayer les critiques que l'on peut d'habitude faire au référendum, à savoir de ne pas inciter les citoyens à répondre à la question qui leur est posée mais à la personne qui la pose. Là, plus rien de tel car la question émanerait d'une institution citoyenne et le choix multiple imposerait de vraiment répondre aux enjeux précis soulevés. 

 

R.M. :  Le devenir du capitalisme constitue-t-il l'autre grand enjeu politique de la transition environnementale ? 

Antoine BUENO : C'est effectivement l'autre enjeu politique majeur pour au moins deux raisons. Premièrement, la transition environnementale remet objectivement en cause le capitalisme. Parce qu’il a permis un développement sans précédent de l’humanité grâce à l’exploitation des énergies fossiles, le capitalisme est aujourd’hui mis au banc des accusés. De fait, de l’accord de Paris jusqu’aux régulations locales, toutes les mesures écologiques collectives consistent à encadrer plus ou moins le capitalisme. Mais, par ailleurs et sur le fondement de cette réalité, l’écologisme radical, aujourd’hui largement dominant dans le débat public, prône une mise à bas pure et simple du capitalisme. Selon cette idéologie, seule la décroissance, c’est à dire le passage à une économie socialisée et planifiée serait en mesure de nous faire réintégrer les limites planétaires. Un discours qui recueille un écho grandissant, surtout auprès des jeunes mobilisés par les questions écologiques. Or, il est extrêmement fallacieux car une telle révolution serait catastrophique à la fois pour l’humanité et pour la planète. Pour le dire simplement, la Nature n’aurait pas grand-chose à gagner d’un crash de la civilisation. Ce crash achèverait même probablement de la détruire. Alors qu’au contraire, un capitalisme réformé serait seul capable de faire advenir la transition pour le bénéfice de tous. In fine, le devenir du capitalisme repose la question de la démocratie. Car c’est aussi cette dernière que menace l’écologisme anticapitaliste. 

A lire : Antoine Buéno, Faut-il une dictature verte (Flammarion)

(Propos recueillis par Roland Cohen, Rédacteur en chef, Realist Magazine)

 

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