CHINE


Chine: un bras de fer dans un gant de soie !

Contributeurs : Lili Wang, économiste chinoise diplômée de l'Université de Pékin et directrice de Liwo consulting et Roland Cohen, rédacteur en chef de REALIST-magazine


Imaginé par Xin Jinping en 2013, "la "Route de la Soie" est un réseau commercial chinois ayant pour objectif de relier l’Asie à l'Europe, l’Afrique. et l'Amérique latine. Son objectif: booster les axes commerciaux sur terre et sur mer depuis la Chine.

En accordant des crédits à des pays en développement, la Chine leur propose la construction d'infrastructures traversant parfois des zones arides et inexploitées. Ainsi est en train de naître une véritable "autoroute commerciale planétaire".

Quel est le réel impacte de cette initiative chinoise ?


R.C.: Il s'agit d'une déferlante d'ampleur planétaire. La Chine estime que "la Route de la soie" aura un impact sur plus de 4,4 milliards d'habitants, soit sur 63 % de la population du Globe, et qu'elle pourrait peser sur 29 % du PIB mondial.

Pékin a déjà déboursé officiellement près de 125 milliards d'euros depuis son lancement en 2013.

Quelle a été la réaction de l'Union Européenne ?

L'Union Européenne n'est pas en reste, pour contrer le projet chinois, elle s'est lancée dans un véritable bras de fer. Le projet Européen « Global Gateway » (Portail mondial) va mobiliser 300 milliards d’euros d’ici à 2027 pour financer des infrastructures dans le monde entier, provenant des États membres de l’UE, des institutions financières européennes et des investisseurs privés.

Au programme : réseaux de fibre optique, infrastructures de transports, réseaux d’énergie numérique, santé, climat. Mais l’Europe a une autre éthique, elle prévoit une route plus "propre": elle se targue de proposer un modèle plus vertueux en matière de droits humains.

Chine - Europe : des Investissements sont-ils sur un cheval à bascule ?

R.C. : En 2020, les investissements chinois en Europe ont atteint leur plus bas niveau en 10 ans. La pandémie n’est pas la seule explication. Cette chute tient aussi à la stratégie des pays européens, devenus plus vigilants. En parallèle, la Chine, premier investisseur asiatique en France (1) vient de signer un accord permettant aux entreprises Européennes d’accéder plus facilement au marché chinois.


Quels sont les montants des investissements en jeu ?


L’Europe a investi 150 milliards d’euros en Chine et en retour, la Chine a investi 113 milliards d’euros, mais la frénésie d’acquisitions chinoises en Europe s’est dégonflée. En 2020, les entreprises chinoises n’ont investi que 6,5 milliards d’euros en Europe (2) soit une chute de 45 % de moins qu’un an plus auparavant.

Et en France, y a-t-il encore une déferlante des investissements Chinois ?

Lili Wang : Entre 2012 et 2019, les entreprises chinoises – publiques ou privées – avaient multiplié leurs investissements en France. Châteaux, vignobles, immobilier de prestige, industrie, agriculture, télécommunications, finance, énergies, produits de luxe… : l’appétit de l’ex-Empire du Milieu pour tout ce que l’Hexagone compte d’attractif semblait sans limite. A l’époque, pas une semaine ne se passait sans que les médias français parlent de rachats de sociétés françaises par des Chinois. Mais depuis la survenue de la crise sanitaire, en 2019, la vague d’investissements chinois en France semble faiblir. Du moins les médias français n’en parlent quasiment plus. Qu’en est-il au juste ?

En réalité, les Chinois continuent à investir sur le sol français. Selon les données fournies en avril 2021 par Business France – qui recense chaque année les projets d’investissements en France d’entreprises étrangères –, 53 projets d’investissement d’origine chinoise ont été réalisés en 2020, qui ont permis de créer ou de maintenir près de 1 700 emplois, soit une hausse de 24 % en un an.


Après le luxe, vers quels secteurs s’orientent maintenant les Chinois ?

Lili Wang: Contrairement aux investissements des années 2012-2019, qui portaient principalement sur les secteurs viticole, agro-alimentaire, immobilier et industriel, les projets chinois s’orientent essentiellement vers les centres de décision (32 % des projets), les activités de production (28 %), les activités de R&D, l’ingénierie, le transport et le stockage.

A quels exemples concrets faites-vous allusion ?

Parmi les 53 projets d’investissement réalisés en 2020, trois méritent d’être mentionnés particulièrement. Il s’agit d’abord du projet de Wencan. Créé en 1998, coté à la Bourse de Shanghai en 2018 et classé parmi les leaders de la fonderie à haute pression pour l’industrie automobile, le groupe Wencan a finalisé le 10 décembre 2020 l’acquisition de la société française Le Bélier. Le montant total de l’investissement est estimé à 240 millions d’euros. Basé en région Nouvelle-Aquitaine, Le Bélier est spécialisé dans la fonderie à basse pression, essentiellement pour l’automobile. Employant 3 505 salariés dans le monde, dont 230 personnes en Gironde, Le Bélier travaille à la fois pour des équipementiers et des constructeurs. Cette acquisition permettra aux deux entreprises d’accéder à de nouveaux marchés grâce à leurs réseaux de distribution et à la complémentarité de leurs technologies.

Le deuxième projet est celui du chinois MicroPort. Fondé en 1998 à Shanghai, MicroPort a investi 45 millions d’euros en 2019 et en 2020 et recruté 45 personnes en deux ans au sein de sa filiale MicroPort CRM basée en Île-de-France. Ce projet de développement, porté par le numéro 5 mondial des dispositifs médicaux dans la gestion des troubles du rythme cardiaque, lui permettra de densifier ses nouveaux projets de R&D à Clamart, siège de MicroPort CRM depuis avril 2018 et centre d’excellence mondial pour le développement et la fabrication de stimulateurs cardiaques et de défibrillateurs implantables. Le groupe confirme également maintenir son intention d’investir 300 millions d’euros sur 5 ans (2019 – 2023) en France, comme annoncé lors de la 2e édition du Sommet Choose France en janvier 2019 à Versailles.

Le troisième projet est celui de Yuyuan, filiale du groupe Fosun, propriétaire du Club Med. Yuyuan, a réalisé une prise de participation à hauteur de 55 % dans la marque de joaillerie française Djula en mars 2020. L’entreprise chinoise a prévu d’investir 26 millions d’euros pour accélérer le développement de de Djula en Chine et à l’international. Créée en 1994 à Paris, la maison de joaillerie Djlua compte aujourd’hui neuf boutiques à Paris, Cannes, New York, Los Angeles et Doha, des « shops in shops » au sein de grands magasins parisiens et compte plus de 80 points de vente à travers le monde.

Que représentent ces filiales chinoises en France ?

Lili Wang: Tout comme dans les années antérieures à la crise sanitaire, les Chinois investissent principalement dans deux régions françaises : l’Ile-de-France et l’Auvergne-Rhône-Alpes.

A noter enfin que plus de 900 filiales d’entreprises chinoises sont implantées en France, contre une centaine seulement en 2012, et elles emploient aujourd’hui plus de 50 000 personnes dans l’Hexagone.

(1) Source Ambassade de France 2020

(2) Institut Merics, basé en Allemagne.