L'Idée de la France

à travers huit Présidents

L'idée de la France, à travers huit Présidents .

Interview de Gil DELANNOI Politologue et historien des idées françaises, spécialiste de la pensée politique. Il est directeur de recherche à Sciences Po Paris.

R.M. : Pouvez-vous nous dire si l'image de la France existe encore, et comment se projette-t-elle dans le cerveau des présidents, de De Gaulle jusqu'à aujourd'hui ?

La preuve par 8, la France pour 8 présidents ...

De Gaulle est le repère, rebelle en 1940 et président en 1958. N’oublions pas que son éducation date d’avant 1914. « La France ne peut être la France sans la grandeur. » La grandeur ne se confond pas avec la puissance. Toute puissance n’est pas grandeur, loin de là. La liberté sans puissance ne manque pas de grandeur : résister à l’occupation en 1940. « L’ambition nationale » ne peut se limiter « au bifteck-frites ». Elle n’est pas contraire à l’existence d’une Europe pourvu que ce projet lui soit conditionné, et dans des limites démocratiques.
Car la parole ultime réside « dans le peuple souverain ».

Pompidou ne conserve que le gaullisme des années 60. Il exprime le modernisme modéré d’une France riche, prospère, confiante. « Dans la vie des nations alternent la grandeur et la médiocrité ». Pompidou pourtant n’a connu ni favorisé l’une ou l’autre. Le musée Pompidou est plus contemporain que grand.

Giscard d’Estaing prolonge ce modernisme : un mode de vie plus libre, le téléphone pour tous. Il ne croit plus tout à fait à un avenir indépendant. Il agit beaucoup, avec plus ou moins de réussite, car « la France n’est pas un pays de réforme, c’est un pays de nouveauté. » Le septennat giscardien donne au pays l’allure d’un objet culturel très prisé, peut-être autant des étrangers que des Français : La France, n’étant pas la plus grande, resterait « ce qu'il y a de meilleur ». Luxe et volupté exagérés ?

Mitterrand oscille entre ses attaches terriennes régionales et l’ambition européenne. En 1981 il affirme que la France n’a d’avenir que socialiste. Dès 1983 il sacrifie un socialisme au bord de la banqueroute à la construction d’une Europe sans socialisme. « La France est ma patrie, l’Europe est son avenir ». Paradoxe (imprévu ?) : la doctrine économique européenne est plus marchande et libre-échangiste que sur n’importe quel autre continent. Ainsi, « après moi », seulement « des financiers et des comptables », confie-t-il enfin. Tout ça pour ça ?

Dans l’ensemble Chirac maintient cette ligne au patriotisme discret, à l’antinationalisme affirmé : on ne pas célébrera pas Austerlitz mais Trafalgar. Mais au fond Chirac n’est pas européen de cœur : les arts premiers, l’amour du Japon, la complaisance envers certains dictateurs le globalisent. Il fut lucide sur l’impasse prévisible de l’invasion de l’Irak et son prétendu changement de régime. De ce fait « La France est un vieux pays » fut applaudi aux Nations Unies. Mais encore ?

Sarkozy donnait une note différente : fils d’immigré et patriote. Mais surtout pas souverainiste. Il le signala aux Québécois. Ami de la Grèce menacée d’exclusion, pro-américain par la réintégration de la France dans l’OTAN, et empêché d’avoir essayé de lier Europe et monde méditerranéen par des institutions. Le débat officiel sur l’identité nationale n’était-il qu’un écran de fumée ? Le thème le plus constant du quinquennat, c’était la France au travail, c’est « le mal que les 35 heures ont fait à notre pays ».

Hollande eut un discours national étouffé par les attentats. On enterre les morts. On résiste à l’islamisme au Mali. Au Mali plus qu’en France, ironisent certains. La renégociation des traités européens est une annonce inconséquente et, s’il reste un « couple » franco-allemand, les conjoints n’y sont plus égaux. Avoir désigné la finance comme ennemie ne traduisait finalement que l’aveu de ne « pas aimer les riches ». Et c’est la gauche de son propre parti qui s’oppose en fait à sa réélection.

Macron, au sommet de l’équivoque pour les uns, montre aux yeux des autres, l’ambition cohérente d’être « en même temps » ceci et cela. Mais comment faire une « startup nation » avec des « Gaulois réfractaires » ? « Pas d’art français » pour un président qui se décrit au passage comme « homme blanc » en banlieue ? La colonisation qualifiée crime contre humanité à Alger mais pour ajouter que ce passé est révolu. Le plus jeune des présidents célèbre Jeanne d’Arc et panthéonise Josephine Baker à l’image d’un Martin Luther King, deux personnes plus civiques que wokistes. Il parle d’un danger de séparatisme dans la société française, s’attirant une campagne internationale de fake-news contre ses propos. In vino veritas ? Comme « la plupart des Français », il juge un « repas sans vin » « un peu triste ».

Gil Delannoi