LES FOLLES LOIS DE LA REPUBLIQUE

Les folles lois de la république


Article de Bruno FULIGNI, écrivain, historien, haut fonctionnaire, maître de conférences à Sciences Po, est l’auteur de trente livres.


RM: La législation française est-elle folle ?

Ses proportions le sont : l’ensemble des lois en vigueur en France, réunies en un seul volume, représenteraient un livre de 23 000 pages. Si on ajoute les textes réglementaires, trois fois plus touffus, il faudrait une vie entière pour lire tout ce qui devrait régir notre vie sociale.

Et si on prend la peine de parcourir cette masse, on est saisi d’étonnement par son contenu et ses incohérences. Sait-on qu’on risque aujourd’hui davantage à ramasser un champignon en forêt qu’à recruter un tueur à gages ? Que le président de la République n’est pas autorisé à pénétrer dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, mais qu’il a le droit d’entrer à cheval dans la basilique Saint-Jean-de-Latran, à Rome ? Que la France continue de verser une pension d’Ancien Régime qui remonte à 1738 ? Que la Légion d’honneur, sur trois générations, pourrait conférer la noblesse ? Qu’en vertu d’un décret de 1852, les maires de France ont droit à un uniforme, avec sabre et bicorne à plumes ? Et qu’en vertu d’un arrêté du 13 juillet 1951 pris au nom de François Mitterrand, « les signes d’hermaphrodisme, l’absence ou la perte du pénis rendent inapte à tout emploi outre-mer » ?…


RM: Vous êtes historien et non juriste, pourquoi cet intérêt pour nos lois ?

En effet, mon propos n’est pas juridique. J’ai considéré les lois comme des sources, c’est-à-dire des documents historiques, révélateurs d’un contexte mais aussi d’un tempérament national. Et je soupçonne fort les Français d’avoir fait la Révolution pour le seul plaisir de pouvoir légiférer à foison. En réalité, les lois françaises ne sont pas faites pour être appliquées, mais pour être admirées. Tout détenteur d’une parcelle de pouvoir cherche à édicter un texte normatif, pour le meilleur et pour le pire. Certaines lois ne manquent pas de poésie, d’autres sont purement et simplement ratées. Le législateur est un fou littéraire qui s’ignore.


RM: Nos lois folles sont-elles simplement des archaïsmes législatifs, ou continue-t-on d’en produire ?

Aujourd’hui, c’est la mauvaise rédaction des textes qui peut les rendre insensés. Ainsi, le décret n° 2008-1054 du 10 octobre 2008 « relatif aux établissements d’abattage de volailles et de lagomorphes non agréés », si obscur qu’il semble un canular. Entre autres, il tolère l’abattage de cinq cents bêtes par semaine dans les petites exploitations, mais c’est un nombre théorique, une oie grasse valant trois points tandis qu’une caille ne compte que pour un quart de point… Il autorise en outre l’abattage des ragondins, qui ne sont pourtant ni des volailles ni des lagomorphes, et nous donne même le droit de les éviscérer en couple marié ou pacsé – mais pas en union libre !... La technostructure s’est déchaînée en rédigeant ce texte absurde, qui doit donner la migraine à nos éleveurs, mais est emblématique de la prose bureaucratique.

Pour en savoir plus: de Bruno FULIGNI, Les Lois folles de la République (Éditions JC Lattès, 19 €).