ART CONTEMPORAIN

LA METAMORPHOSE DU BEAU


Illustration: sculpture de Yayoi Kusama, photo Roland Cohen

Art contemporain: la métamorphose du beau ?

Interview de Pascale GRILLIAT, observatrice, en résonnance avec quelques extraits de Luc FERRY (le sens du beau) professeur de philosophie, essayiste et homme politique français.

Question, RM: Ce qui est beau est-il éphémère ou reste-t-il beau pour l'éternité ?

PG: C’est en sortant de la Bourse du Commerce de Paris qui héberge la Collection Pinault, que j’ai décidé de me poser la question. Magnifiquement restaurée par l’architecte japonais Tadao Ando, le lieu est somptueux mais l’exposition hétéroclite et insolite a pour dessein d’étonner et de surprendre, la réussite est totale.

Pour commencer, la magnifique statue de l’Enlèvement des Sabines de Giambologna (1579-1583) trônant au centre de la rotonde, n’était pas en marbre gris mais en cire et se consumait petit à petit ainsi que les chaises et un homme grandeur nature. Ceci pour nous faire prendre conscience de la durée éphémère des choses ici-bas !

Tout autour dans les vitrines de la rotonde : un aspirateur, une scie, un extincteur d’incendie, et autres objets utilitaires dont l’intérêt dans ce cadre magnifique correspond, paraît-il, aux objets de notre temps pour les époques à venir ! Dans l’une des nombreuses salles, un clou X peint en beige planté dans un mur entouré d’un cadre fait de poussière ! Je me suis posée la question, pourquoi pas un seul artiste français ?

La Beauté pour certains est une valeur, une émotion esthétique au regard d’une œuvre d’art, du spectacle de la nature ou bien à l’écoute de la musique. Emotion peut être positive ou négative. Faut-il encore ressentir quelque émotion.

Certes, la Beauté évolue avec le temps, les critères changent, les hommes les façonnent avec ce qu’ils vivent et les répercutent dans leurs créations artistiques. Mais la Beauté a-t-elle la possibilité de traverser toutes les époques en étant intemporelle et universelle ? Qu’est devenu « l’Art » porteur de la Beauté dans les Arts Contemporains ? Beaucoup n’y trouvent que la provocation, la laideur, le mauvais goût, le kitsch, la vulgarité. En ce qui concerne l’art conceptuel, par exemple, il n’est même plus question d’esthétique ou de beauté mais d’une idée.

Luc FERRY (Le Sens du Beau): "La question est d'autant plus pertinente que s'il n'y a aucune raison de supposer que le talent des individus est aujourd'hui moindre que dans les siècles passés, on a en revanche tout lieu de penser que leur rapport au monde s'est profondément modifié, et que la relation à l'idée d'un univers objectif, les dépassant et les réunissant tout à la fois, est devenue singulièrement systématique".

Le XXe siècle a mis en place une esthétique dont l’un des premiers critères est le « choc ». Voilà comment on passe des Nymphéas de Claude Monet aux colonnes de Daniel Buren et des colonnes de Daniel Buren puis au bouquet géant de tulipes qui fleurit en bas des Champs-Elysées. Certains artistes tels Jeff Koons, n’ont d’intérêt et de valeur que pour les milliardaires qui s’arrachent leurs œuvres et nombreux n’y voient que l’imposture, l’escroquerie et la cuistrerie. N’est-il pas choquant que les institutions de l’Etat prennent ces clowneries au sérieux. Depuis un demi-siècle, les fonctionnaires de la culture et l’Etat finissent par se prosterner devant les marchés de l’art mondialisés et spéculatifs.

La grande différence est que les trésors du passé furent d’abord réalisés pour adorer un Dieu ou pour servir un prince. Ils n’étaient pas vus alors comme un investissement. Ils étaient jalousement gardés chez soi et plus tard donnés au Louvre ou au Metropolitan. Ils n’étaient pas aimés parce qu’ils étaient chers, ils étaient chers parce qu’ils étaient aimés.Autrefois, l’œuvre d’art véritable devait nous éclairer sur le monde en le représentant. Chez Aristote, elle reposait sur l’imitation, la représentation, la figuration donc la connaissance.

LUC FERRY (le sens du beau) : L'avenir de l'art contemporain ne réside plus, cela au moins est certain, dans la répétition vide et morne du geste de rupture avec la tradition en tant que telle, mais peut-être dans la recherche d'une expression des nouveaux visages du sacré à visage humain, de cette "transcendance dans l'immanence" qui seule convient à un monde démocratique."

Les arts mineurs des XXe et XXIe siècles l’ont bien compris, tels que le roman policier, la science- fiction, le fantastique, le cinéma, la photographie, les séries télévisées, la publicité, les jeux vidéo, les chansons. Ils ne s’interdisent pas d’utiliser la mélodie, la figuration, la représentation, l’imitation, la narration et la Beauté.

Non, la Beauté n’est pas un concept daté, elle est un besoin naturel de l’homme. Chaque artiste est original et singulier, mais une œuvre d’art produite aujourd’hui devrait pouvoir être accrochée dans un musée à côté d’un Vermeer ou d’un Van Gogh et soutenir la comparaison ou du moins être regardée de la même façon comme une pensée incarnée dans un objet. Est-ce le cas ? Nous avons presque peur de l’évoquer quand nous sommes confrontés au terrorisme idéologique de l’Art Contemporain ou mythe du progrès en art.

Luc FERRY (Le sens du beau) : "La théorie Nietzschéenne de l'art comme seule expression adéquate de la volonté de puissance, est par excellence le lieu où cette nouvelle conception de la relativité , où ce nouvel individualisme sans sujet ni objet, trouve sa traduction la plus authentique …"

Mais venons-en à Picasso souvent utilisé comme alibi. Ce génie a passé une partie de sa vie à déconstruire l’art qui lui préexistait et à congédier la notion de Beauté et pourtant, il s’est mesuré toute sa vie aux grands maîtres du passé, il les a copiés, leur a rendu hommage et s’est considéré comme leur héritier.

En effet, les artistes véritables se reconnaissent entre eux de générations en générations. Lucian Freud et Balthus admiraient Degas. Ils sont capables d’aimer leurs prédécesseurs dont ils sont les héritiers mais aussi leurs successeurs dont ils sont les témoins : Giacometti, Picasso, Cartier-Bresson, Szafran, Mason, en font partie et bien d’autres. (Aout 2021)

Extraits de Luc FERRY: "Le SENS du BEAU aux origines de la culture contemporaine", Editions Cercle d'Art 1998